Marc Groenen est préhistorien et philosophe des sciences. Il est professeur à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), où il enseigne l’art et l’archéologie préhistoriques.
À l’encontre des « idées reçues » sur la préhistoire, j’ai tenté de montrer que les sociétés de l’homme de Néandertal au Paléolithique moyen et de l’homme de Cro-Magnon au Paléolithique supérieur possédaient déjà des modes de vie largement sédentaires, comportements traditionnellement réservés à l’époque du Néolithique. Les groupes pratiquaient des échanges sur de longues périodes : des matières premières, acquises en quantités parfois importantes, ont été stockées et transformées par des artisans spécialisés dans le traitement de l’ivoire, des matières siliceuses, de la terre cuite ou du bois de renne. Outils, armes, parures et œuvres d’art se retrouvent parfois à plusieurs centaines de kilomètres de leur point d’origine, confirmant ainsi l’étendue des relations entre groupes. Les matières et les objets n’étaient pas seuls à voyager : des modèles (thèmes iconographiques des figures féminines gravettiennes) et des systèmes de pensée (schémas opératoires dans le débitage lithique) ont également connu une diffusion sur des territoires distants de plusieurs centaines de kilomètres. Il apparaît donc que ces sociétés se trouvaient au centre d’un véritable système économique.
L’approche de la métaphysique, comme système de pensée, se fait au travers de l’étude de l’art pariétal et mobilier. J’ai tenté de montrer que la disposition des motifs était commandée davantage par des particularités naturelles de la paroi et par la conformation des réseaux souterrains que par des impératifs imposés par des « structures » mentales inconscientes. Le rôle capital de l’éclairage employé à l’époque permet de mettre en évidence l’interaction intime des représentations et des structures de la cavité. La grotte ne peut donc plus être considérée comme une succession de « panneaux » ornés, mais comme un espace architectural aménagé et balisé par l’homme du Paléolithique supérieur, dans lequel les animaux représentés en animation nous guident dans notre parcours. Mes derniers travaux soulignent l’existence de plusieurs systèmes esthétiques dont il est possible de dégager les singularités. La découverte de traces d’actions rituelles (bris, dépôts, prélèvements…) et de destructions symboliques de figurations m’a conduit à voir dans la grotte ornée un lieu où s’exprime une métaphysique complexe, dont le « décor » pariétal ne constitue que la partie congrue. À cet égard, la figuration de créatures composites animales et humaines – identiques dans des régions différentes et aux mêmes époques – démontre l’existence de thèmes iconographiques qui renvoient à des êtres surnaturels connus dans des zones géographiques étendues.
© Marc et Marie-Christine Groenen
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Mes recherches se concentrent sur l’univers sociocognitif et comportemental des hommes de Néandertal et de Cro-Magnon. Deux pratiques complémentaires sont exploitées pour une meilleure compréhension des comportements techniques et des productions mentales et métaphysiques : la documentation archéologique et l’étude des manifestations esthétiques.